28 octobre 2011

F5LBD Algérie 1957/1959


Après nous avoir conté son expérience en Indochine puis sa première affectation en Algérie, Michel F5LBD nous parle toujours de ce pays avec de nombreuses anecdotes. 

Adieu provisoire à la Radio que je retrouverai aux FFA Rastatt/Bad. En septembre 1959.
Arrivé dans cette nouvelle affectation 2/67 BT, l’ambiance me semble bonne.
Je retrouve le Lieutenant M., qui était Sergent avec moi à Phnom-Penh en 1951.
Je ne reste pas longtemps à la compagnie.
Je suis affecté à l’Etat-major de la 7ème DMR (Division de Mécaniques Rapides) à Fort de l’Eau, comme responsable des moyens radiotélégraphiques.






Quelques anecdotes de mon séjour à l’état-major de la 7ème DMR

Un jour le Capitaine d’un bureau de l’état-major me convoque à son bureau. Il n’est pas content de son téléphone et m’en fait le reproche Lorsqu’il a fini de parler, je lui dis : « Mon Capitaine, je ne suis pas responsable des téléphones, mais je transmettrai vos problèmes de téléphone au Commandant B., le commandant des transmissions ».
« Non, non n’en parlez pas au Commandant », me dit-il.

Une autre fois, vers 18 heures, un sergent du contingent, chef de la régulation des messages, vient me dire : - « Chef le Général veut vous voir ».
-« Pourquoi veut-il me voir ? ».
-« Je ne sais pas » me dit-il.
Je me rends à cette convocation. Je suis reçu au bureau précédant celui du Général par un Capitaine. Il me dit : « Vous êtes sûr que le Général vous a convoqué «. Je lui répète les propos du sergent de la régulation.
« Attendez » me dit-il.
Il entre dans le bureau du Général, ressort un moment après : « Vous pouvez entrer chez le Général ».
J’entre dans le bureau du Général, je salue, je me présente : mon grade, mon nom, ma fonction.
Le Général : « Vous êtes le Chef de Centre ? »
« Non mon Général, je suis responsable des moyens radios ».
Le Général : « Je veux voir le chef de Centre. Où est-il ? »
« Chez lui mon Général ».
Le Général : « Faites chercher le Chef de Centre, je veux le voir ».
« A vos ordres mon Général ». Je le salue demi tour réglementaire et je sors.
J’envoie une estafette pour prévenir le Chef de Centre à son domicile.
Lorsque le chef de centre sort du bureau du Général, j’ai enfin l’explication : Le sergent responsable du central téléphonique s’est absenté quelques instants, le centraliste de service est un soldat du contingent qui a pris le service pour la première fois aujourd’hui.
Le téléphone a sonné, il a décroché, écouté :
-« Ici le Général, je veux telle communication …. »
Le soldat est resté sans voix, il a été incapable de donner la communication demandée par le Général. Le sergent est arrivé quelques instants après, trop tard. L’adjudant-chef a écopé de jours d’arrêt. Il est responsable.
***
Je suis de retour à la compagnie le 25 Janvier 1958. Elle a déménagée de Cap Matifou pour un centre cynophile à quelques kilomètres. S’y trouve des chiens dangereux, la porte d’accès de ces cages est fermée à clé.
Un jour le gardien du centre s’est disputé avec des militaires. Il s’est emparé, d’un pistolet mitrailleur MAT49 et a tiré plusieurs rafales. Je suis sorti de ma chambre, j’entends le gardien qui menace de tirer si quelqu’un s’approche de lui. Un gradé essaie de le raisonner. En vain ! Il ne répond plus. Un silence de plusieurs minutes, puis un cri : Un soldat a réussi à pénétrer dans le bâtiment dans lequel s’est retranché le forcené. Il a réussi à le surprendre par l’arrière, le ceinturer avec les bras et le désarmer.
C’est un costaud. Le gardien n’a pas fait le poids. Le gardien est emmené. On ne l’a plus revu.
Peu de temps après, la Compagnie quitte le centre cynophile1et prend possession des locaux de la ferme ’’Bernabé’’ près du village de Fondouk.
Mission : contrôler un secteur de la Mitidja, Ouled Brahim et autres lieux. Nous effectuons des patrouilles, embuscades, ordre de mission écrit.

L’embuscade
Un jour très tôt le matin, nous partons en patrouille sous les ordres d’un Lieutenant.
Nous marchons pendant un certain temps, arrivés dans un chemin entouré de haies à l’orée d’un petit bois. Soudain, plusieurs rafales de fusil mitrailleur sont tirées depuis ce bois. Tous les hommes de la patrouille sont à plat ventre, c’est le silence total. Après un moment, j’entends le Lieutenant : « Baudoin ! Où êtes-vous ? »
- « Je suis là mon Lieutenant ».
Nous repartons sans autre incident. J’ai bien des choses à apprendre.
Quelques semaines plus tard, le 10 Mars 1958, je suis affecté dans une ferme, sous mes ordres une dizaine de militaires du contingent, nous sommes en doublure avec une section de l’artillerie, dont le chef me passe les consignes pendant quelques jours afin d’assurer la relève dans de bonnes conditions.
Nous sommes logés dans un bâtiment annexe de la ferme du propriétaire nommé Ali Seray, commune de Bou Hamedi.
Le lendemain, et chaque jour, nous partons en patrouille avec les artilleurs afin de connaître le secteur.
Nous marchons dans la plaine et aussi dans la montagne de l’autre côté de la route Fondouk – Rivet.
Au début les hommes des transmissions et moi-même suivons avec difficultés un rythme effréné (je soupçonne le gradé des artilleurs de nous mettre à l’épreuve).
Après quelques jours, on s’habitue. Leçon retenue : avoir de bonnes chaussures, les ’’pataugas’’ font tout à fait l’affaire. Ou Bien à défaut des chaussures de sport de type baskets.
Plusieurs fois, le sergent de l’artillerie interroge un homme rencontré au hasard dans la montagne.
Lors de retour de patrouille, le Sergent de l’artillerie nous fait entrer dans une mechta, il appelle le propriétaire des lieux : « L’épicier ».
Celui-ci nous invite à s’asseoir autour d’une table basse, une femme apporte des petites tasses, une autre le café. Discrètement comme elles étaient venues, elles disparaissent, seul l’épicier reste avec nous. « C’est la coutume», m’explique-t-on.
Après quelques jours, le Sergent de l’artillerie m’a montré tout le secteur.
Nous avons une visite surprisede son Capitaine : le Capitaine G., de mon Commandant de Compagnie, du Commandant des transmissions ainsi que d’autres officiers supérieurs de l’état-major de la 7ème DMR.
Le Commandant B. me demande si le Sergent de l’artillerie m’a bien passé les consignes ? Si j’ai des questions à poser ? Je réponds que : « Tout va bien ».
Je suis observé, mais je pense faire bonne contenance.
Le lendemain, le sergent de l’artillerie et le groupe d’hommes qu’il commandait sont partis. Je suis seul avec mon équipe de soldats transmetteurs.
Ils ne semblent pas trop rassurés. Moi non plus, je m’applique à ce que cela ne se voit pas. On m’a dit que les hommes sous mes ordres sont de fortes têtes. Je me suis toujours bien entendu avec eux, aucun problème de quoi que ce soit.
Une bonne ambiance règne dans mon équipe, jusqu’au jour de l’arrivée d’un supérieur qui prend la direction de l’équipe, je deviens son adjoint.

Je ne suis pas dupe
Les artilleurs partis, le patron de la ferme où nous sommes hébergés, Ali Seray, m’invite un dimanche matin pour : « Aller prendre l’apéritif en ville » me dit-il.
Je suis contrarié de laisser mes transmetteurs seuls, je lui dis : «Une autre fois, nous avons bien le temps». Il insiste. Est-ce si important ? J’accepte.
Nous voilà partis dans son automobile, destination une bourgade près de Fort de
l’Eau (je ne me souviens plus du nom). Nous entrons dans un café bar, beaucoup de clients et plusieurs barmans. Nous restons debout près du bar. Je remarque que les serveurs derrière le bar sont tous Algériens.
Je commande une boisson. Je vois AliSeray qui fait un mouvement de tête et coup d’œil à un algérien du bar. Je fais bien sûr semblant de n’avoir rien vu, je reste impassible.
Après cela, Ali Seray est pressé de partir, nous sommes restés à peine quelques minutes. C’est comme si sa mission était accomplie. A-t-il voulu montrer quel personnage j’étais à un responsable FLN ? Un nouveau militaire responsable dans sa ferme ? Je n’ai aucune preuve, mais je pense avoir raison de croire cela.
Dans l’armée, il faut des preuves, je le sais bien et cela me sera confirmé un peu plus tard après certains évènements jamais élucidés.
D’ailleurs, les semaines suivantes, Ali Seray m’ignore complètement.
Alors qu’il était si affable lorsque je suis arrivé pour relever le Sergent de l’artillerie, maintenant il ne prend même plus la peine de dire bonjour ou de répondre.

Danger
Le bâtiment annexe de la ferme Seray où nous logeons, comprend deux pièces.
Les artilleurs partis, nous pouvons occuper la deuxième pièce, ce qui permet de disposer de plus de place.
L’espace devant ce bâtiment est éclairé toute la nuit.
La garde est assurée par un soldat en arme, avec relève toutes les deux heures.
Une nuit, je me réveille à trois heures du matin. J’ai comme un pressentiment. Je me lève et je vais voir si l’homme de garde assure bien. Il n’y a personne, ils dorment tous.
Je réveille celui qui était de garde, dialogue : « Avez-vous réveillé celui qui devait vous relever ? »
- « Oui »
- « Qui est-ce ? »
- « Un tel »
Je vais réveiller le soldat qui aurait dû être de faction.
Il est debout et prend son tour de garde. Le lendemain, je rassemble tout le monde, je leur explique : « La nuit dernière, nous aurions pu tous nous faire zigouiller, tout le monde dormait à 3 heures du matin. Lorsque vous réveillez celui qui doit vous remplacer, avant de vous coucher, assurez-vous qu’il est bien debout et qu’il a pris son tour de garde ».
Quelques jours plus tard, nous quittons la ferme d’Ali Seray pour prendre possession à quelque distance d’une maison, accès par un grand portail en bois suivi d’une cour intérieure. Sur le côté, sous un pré haut, une porte d’accès également qui s’ouvre sur un fournil. C e dernier détail a son importance dans les évènements qui vont suivre..
La cour est pavée et un puits au milieu équipé : manivelle, chaîne et seau. L’habitation comprend quatre grandes pièces donnant sur la cour intérieure. J’apprends que c’est la maison d’un coiffeur qui a été arrêté.
Le problème : si nous sommes bien protégés par les murs, on n’a aucune vue sur l’extérieur.
Les semaines passent, avec les activités habituelles : Contrôles, patrouille, embuscade de nuit.
Le Sous-lieutenant Ch. arrive et prend le commandement du poste. Quelqu’un de bien informé, ma fait savoir que le Sous-lieutenant est un cousin de l’ex-empereur du Vietnam, Bao Daï. - « Ah bon ! »
D’emblée le courant ne passe pas bien entre le Sous-lieutenant et moi. Je lui explique la mission, ce que j’ai appris. Il semble m’écouter avec condescendance et d’un air hautain.
Que puis-je faire de mieux ? De plus, les soldats ne l’aiment pas. Je ne leur ai pourtant rien dit. Le Sous-lieutenant croit que je les monte contre lui, un jour il me le dit.


Un accident
Un soir, le Sous-lieutenant décide de faire un contrôle dans une habitation du secteur. Il emprunte la carabine d’un soldat. Nous frappons à la porte d’une habitation, les gens tardent à ouvrir. Je dis au Sous-lieutenant : « Ils ont peur, ils vont nous ouvrir lorsqu’ils sauront qui nous sommes ».
Le Sous-lieutenant trépigne, il s’impatiente. Un coup de feu part, il vient de se tirer une balle dans le pied.
Une chance, la balle a traversé sa chaussure, mais elle est passée entre deux orteils. Cependant cette blessure nécessite des soins, le lendemain il se fait soigner à l’infirmerie.
De retour au poste, le Sous-lieutenant accuse le soldat de lui avoir prêté sa carabine armée, ce que le soldat réfute. Comment savoir qui a armé la carabine ? Le Sous-lieutenant ou bien le soldat ?
Je n’ose pas dire au Sous-lieutenant que : « lorsque l’on se saisit d’une arme, la première chose à faire c’est de s’assurer de son état, si elle est chargée ou bien si elle est armée. Le
coup de sécurité de l’arme, c’est ce que nous avons appris dés le début de l’enseignement sur les armes.

Incident non élucidé !
Un samedi soir, le sous-lieutenant s’absente. Pas de sorties de patrouille ou embuscade de programmée pour ce soir là. Il est à peu près 22 heures, je viens d’écouter les informations sur un petit poste à lampes acheté il y a quelques mois à Fort de l’Eau.
Je m’apprête à me coucher. Le harki K. vient me trouver et me dit à voix basse :
- « Chef, viens voir »
Je le suis, il me fait signe de ne pas faire de bruit. Nous nous rendons dans le fournil. K. me montre la porte et me fait encore signe de ne pas parler.
Décidément ! C’est quoi ? Je regarde, je vois la porte qui est poussée à plusieurs reprises. Exactement comme si quelqu’un essayait de pénétrer par surprise. Je regarde encore pendant quelques instants, aucun doute, quelqu’un tente de forcer l’ouverture de la porte. Je suis perplexe. Que faire ? Sortir en force ?
Et si les agresseurs supposés sont plus nombreux que nous ? Nous sommes enfermés et nous ne voyons rien à l’extérieur. Je décide de lancer deux grenades DF au-dessus du toit, à proximité de la porte du fournil. Aussitôt, les pressions cessent sur la porte du fournil.
Le téléphone sonne, c’est le PC de la Compagnie. Ils ont entendu les explosions des grenades. Ils demandent ce qui se passe ? J’explique brièvement.
Réponse de mon interlocuteur : « Surtout, ne bougez pas, nous arrivons ».
Moins de 10 minutes plus tard, un half-track arrive. On éclaire avec un projecteur, on fait le tour de la maison : Rien.
Le lendemain, lorsqu’il fait jour, on inspecte de nouveau le tour de la maison : Il y a des traces de pas sur le sol mouillé. Quelques jours plus tôt, j’ai fais installer une clôture avec des fils barbelés.
A l’arrière de la maison, côté des champs, les fils de la clôture sont écartés.
Le Sous-lieutenant n’est pas content de ces évènements, c’est tout juste s’il ne m’accuse pas d’avoir tout inventé pour le compromettre. J’ai su après qu’il était en absence illégale, car déjà puni d’arrêts.
Je fais un compte rendu écrit, j’explique tout : la porte forcée pour apparemment l’ouvrir. Nous avons été plusieurs à observer la porte pliée. Je termine le compte rendu en expliquant que nous sommes enfermés sans aucune vue sur l’extérieur et que la construction d’un mirador me paraît nécessaire.
Le Commandant B. des transmissions vient en visite et me dit : « Le général veut des preuves, il n’y a ni morts, ni blessés ».
J’explique encore ce qui s’est passé. Nous sommes plusieurs à avoir constaté que la porte était poussée par saccades, je n’ai pas rêvé ! Les traces de pas sur la terre mouillée, les fils de la clôture écartés.
Le Commandant : « Ce ne sont pas des preuves, il n’y a ni mort, ni blessé, ni prisonnier ». Mais il ne me dit pas ce qu’il aurait fallu faire.
Sortir en force de cette maison ?
Les jours suivants, un mirador est construit. Nous voyons enfin vers l’extérieur.
Encore faudrait-il que l’extérieur soit éclairé la nuit. De plus, autour de la maison existe une portion de terrain que l’on ne voit pas, c’est une zone d’ombre où quelqu’un peut se glisser sans être vu.
Au mois de Mai 1958, j’obtiens une permission de quelques semaines et un transport gratuit par avion pour la France. Les célibataires ont un transport gratuit tous les deux ans, les mariés tous les ans.
Pendant ma permission, il y a les évènements de Mai 1958 en Algérie, avec ensuite le rappel du Général De Gaulle. Un gendarme vient à la maison. Il dit à ma sœur : « que je dois rejoindre la caserne du Génie à Charleville-Mézières. Lorsque qu’on arrive en permission, on doit se présenter à la Gendarmerie, ce que j’ai fait en arrivant.
Papa me dit : « Ne te presse pas, attends le contre ordre ». Le lendemain, le même gendarme revient à la maison et dit à ma sœur : « Votre frère est là ? ». Elle ne sait que répondre. Le gendarme dit encore : « Je sais qu’il est là, dites lui qu’il peut rester, mais il n’a pas le droit de sortir du village ».
Quelques jours après mon retour en Algérie, le 21 Juin 1958, je prends le commandement d’un autre poste situé à 8 kilomètres environ du premier, au Douar «Ben Ouadah », à quelques centaines de mètres de la route Fondouk-Rivet. A proximité de la route vers Bou Hamedi qui rejoint le carrefour Fondouk-Rivet.
Des militaires (ou des civils ?) ont écrit à la peinture sur la route, en grosses lettres :
«Algérie Province Française » et puis aussi : « La France de Dunkerque à Tamanrasset ».
On me dit que c’est le premier Ministre Michel Debré qui donné l’ordre d’écrire cela. Est-ce vrai ?
Le poste situé au Douar Ben Ouadah est une grande maison en terre, c’est une ancienne école. Il y a un mirador au milieu du poste, construit sur des poteaux en bois. On accède à la plate forme par une espèce d’échelle faite avec deux troncs d’arbres.
Un épais mur en pierre autour à quelques mètres du poste et des barbelés sur plusieurs mètres d’épaisseur. Je suis venu à ce poste avec des hommes de mon ancien poste en renfort, ainsi que deux harkis K. et Ch.
Pas d’électricité. Lorsque c’est nécessaire, on s’éclaire avec une lampe à pétrole.
Nous avons un réchaud à alcool, pour chauffer du café ou réchauffer des plats. Les repas sont apportés du PC de la compagnie midi et soir par une jeep conduite par le chauffeur Doué
(Il sera hélas tué en transportant des harkis pour percevoir leur paye) accompagné d’une escorte armée tous tés également sauf un, le tueur.
Mon effectif du poste comprend un sergent du contingent et douze hommes, mais il varie souvent, je reçois des renforts par moment.
Lorsque je reçois l’ordre de sortir en patrouille ou en embuscade, la moitié de l’effectif au moins reste au poste.
Parfois on m’envoie des renforts en hommes de la Compagnie pour des opérations plus importantes.
La mentalité des hommes envoyés en renfort n’est pas bonne, ils se disputent avec les soldats du poste.
J’ai un travail supplémentaire à accomplir, que je n’avais pas au poste précédent, mais qui n’est pas pour me déplaire. Je dois passer dans les habitations des trois Douars : Ben Ouadah, Sidi Salem et Ouled Brahim pour recenser les habitants.
Sur un carnet des pages à renseigner : Nom, prénoms, date de naissance etc… Ainsi je fais connaissance avec la population. Je suis souvent invité à prendre le café ‘caoua’.
Je pars des après-midis avec le harki K. qui me sert d’interprète.
Le poste est sous les ordres du sergent pendant mon absence.
J’apprends quelques mots, lorsque je demande où est le mari et ce qu’il fait, le harki dit à chaque fois : « El radjel », traduction : « Le mari ». Et puis aussi : « Goulou » :
« Dis lui ». Si bien que nous avons surnommé l’équipe de notre poste : « Les
goulous goulous ».
Je suis relativement tranquille. Le poste est plus isolé que le précédent, mais je suis le responsable. Je n’ai personne pour me commander. Les habitants du Douar sont venus me trouver un jour, dont l’épicier du Douar. Ils m’ont dit : « Chef, nous ne connaissons pas les autres gradés, c’est toi qui es le chef. Nous ne connaissons que toi ».
Je suis flatté, mais après cette déclaration, je me sens encore plus responsable vis-à-vis d’eux.
Effectivement, je suis bien placé pour voir la vie de tous les jours de ces gens, pris entre nous les français et le FLN.
Les autorités ne sont pas près des problèmes quotidiens des habitants comme nous.
Je comprends les habitants du Douar, avec tous les évènements, l’insécurité.
En qui peuvent-ils avoir confiance ? Qui connaît leurs difficultés, si ce n’est ceux qui sont en contact avec eux tous les jours, c’est sans doute ce qu’ils ont voulu me faire comprendre ?
Mais on ne me demande pas mon avis. Je suis là pour exécuter les ordres.
Cette population ne ressemble pas du tout à celle d’Alger, ni des grandes villes d’Algérie. Ces gens sont pauvres. Et encore une fois ils sont menacés par le FLN en cas de collaboration avec la France.
Certains Douars subissent des représailles du FLN la nuit. C’est la même situation que j’ai connu lors de mes séjours en Indochine. La plupart des gens de la campagne ne demandent qu’à vivre en paix.
L’expression : « C’est toujours les petits qui trinquent en cas de conflits », c’est bien le cas !
Une chose de positive, il existe une AMG (Assistance Médicale Gratuite) dans notre poste.
Le sergent appelé, mon adjoint, s’acquitte très bien de cette mission.
Nous disposons de trousses de secours avec pansements, désinfectant etc… Souvent il soigne des enfants pour des plaies infectées, 0les enfants pleurent pendant les soins.
Un cimetière se trouve à proximité du poste, dans lequel des femmes, jeunes ou âgées, viennent sur les tombes.
Le harki me rapporte que l’une d’entre elle qui entendait pleurer un enfant que le sergent était en train de soigner, aurait dit : « Les Français, ils font exprès de faire souffrir nos enfants ». Est-ce vrai qu’elle a dit cela?
Il aurait fallu leur expliquer que c’est dommage de dire ou penser cela.
On ne fait pas souffrir exprès leurs enfants, on les soigne, on fait pour le mieux.
Et puis, autre déception. Un jour, en circulant dans le Douar, nous retrouvons un enfant soigné au poste dont le pansement a été arraché. Par qui ? On a mis du charbon à la place du pansement. Il faudrait encore une fois que quelqu’un leur explique que nous sommes là avec les meilleures intentions et avec des moyens de soins efficaces pour ce genre de bobo. Je le dis au harki, mais est-ce qu’ils le croient ? La confiance ne s’établit pas si vite et en si peu de temps. Hélas, on nous fera déménager avant d’avoir réussi à établir vraiment cette confiance.
Chaque soir, plusieurs habitants du Douar viennent chercher des fusils de chasse au poste pour monter la garde avec deux soldats à l’autre extrémité du Douar.

J’ai eu de la chance et lui aussi
Les deux harkis K. et Ch. sont armés chacun d’un fusil de chasse. Ils n’ont pas le droit d’utiliser la mitraillette MAT 49, ni aucune autre arme de guerre. Ce n’est pas un manque de confiance, c’est simplement par ce qu’ils n’ont pas reçu l’instruction pour utiliser des armes de guerre, c’est évident.
Parfois je passe outre, en patrouille de nuit, le harki a aussi une MAT49. Je lui ai montré le fonctionnement. Mais s’il survenait un accident, je suis en défaut. La suite va démontrer que c’est dangereux, encore que, même les soldats instruits pour utiliser les armes, il y a eu de nombreux accidents mortels en Algérie avec les armes. Un soir, je sors en patrouille avec parmi nous le harki Ch qui marche immédiatement derrière moi.
Le lendemain, il m’avoue : « Chef, hier soir en patrouille, je caressais le PM en marchant, j’ai passé ma main le long de l’arme et j’ai senti un creux : la culasse du PM était en arrière ». C'est-à-dire que l’arme était armée prête à tirer, un seul appui sur la détente et la rafale de balles de 9 mm partait dans mon dos.
J’aurais pu recevoir toute la rafale à bout portant dans le dos. Brr !!
Une autre fois, le même Ch. manipule un pistolet mitrailleur MAT 49, une rafale de balles part. Aussitôt, le soldat Boisson qui est allongé sur son lit de camp, s’assoit, il est blanc ! La rafale de balles est passée à quelques centimètres au dessus de sa tête. Les trous faits par les balles sont bien visibles dans le mur en terre au dessus de son lit.
Après la guerre d’Algérie, un journal a écrit : « L’armée a eu plus de tués par des accident causés par des armes de guerre et des accidents avec des véhicules militaires que des morts en rapport direct avec ce conflit ».

Ali, l’employé de l’épicier m’invite
Un jour, Ali, l’employé de l’épicier du Douar, m’invite à manger un couscous le soir. C’est pendant l’été 1958. Il fait encore jour lorsque je me rends à son invitation. Quelle que soient les circonstances, dès que je sors du poste, je suis toujours armé, soit du pistolet MAC 50, soit du pistolet mitrailleur MAT 49.
Pour cette occasion, je n’ai que le MAC 50 dans la sacoche accrochée à mon ceinturon.
Après tout, le poste n’est pas loin, environ à une centaine de mètres. Il ne s’est jamais rien passé dans le Douar, mais on dit que c’est justement lorsque l’on est très habitué à des lieux et à des gens, que l’on devient moins méfiant et qu’il se produit une attaque.
J’arrive chez l’épicier un peu avant 21 heures. Ali m’attend. Il me fait entrer dans une pièce vide de tout meuble, seule une table basse au milieu de la pièce et un siège pour m’asseoir. Ali a un sourire mystérieux, malicieux, il est content. Je suis agréablement surpris par ce couscous, c’est un vrai régal.
Ali n’est pas bavard, il sourit toujours et ne parle que pour me répondre, et même, il ne s’étend pas du tout en conversation. En tous cas, c’est bien sympathique.
A la fin du repas, pendant qu’il s’absente quelques minutes, je réalise que maintenant il fait bien nuit à l’extérieur, on est éclairé par une lampe à pétrole.
Bien sûr, il n’y a pas d’électricité dans le Douar, pas encore dans notre poste.
Je ne suis pas inquiet, mais je pense que je suis seul et si on voulait me faire la peau, ce serait en ce moment même très facile.
Je suis armé avec mon MAC 50, mais que ferais-je avec cette arme si j’étais attaqué par surprise… Il ne se passe bien évidement rien, il n’y a pas des fellahs guerriers partout.


On a amené l’électricité dans le poste
Si j’ai de bonnes relations avec les habitants des Douars, j’en ai aussi avec les fermiers du coin. A environ 500 mètres du poste, il y a une grosse exploitation agricole qui appartient à la société Floriana. J’ai eu l’occasion de discuter avec le gérant de l’exploitation.
J’ai évoqué la question d’électricité qui serait bien pratique pour éclairer le tour du poste, ainsi que pour nous aussi. Une sécurité supplémentaire viendrait ainsi s’ajouter aux barbelés et le soldat de garde la nuit dans le mirador verrait encore mieux autour du poste.
Le gérant me dit de voir un responsable, Mohamed, qui s’occupe des branchements électriques au transfo dans un local de la ferme et où nous aurons l’électricité gratuite. Je contacte le sous-officier que j’ai relevé dans le poste et qui est maintenant à la maintenance des différents matériels radios.
La ferme Bernabé, où est installée la Compagnie, possède des projecteurs. Il y a même la sono avec des haut-parleurs pour appeler les personnels. Ce n’est pas une compagnie de transmissions pour rien ! Ce sous-officier me fourni la longueur de câble nécessaire pour le transport de l’électricité. La ferme me donne des poteaux en bois pour accrocher le câble. En quelques heures de travail, l’électricité est amenée au poste. Le tour du poste est parfaitement éclairé vers l’extérieur.
Nous pouvons nous éclairer à l’intérieur. Le poste à lampes que j’ai acheté pendant mon séjour à Fort de l’Eau est branché. On peut écouter les informations.
Des soirées, lorsqu’il n’est pas de service, le harki K. a l’oreille collée au poste radio, c’est quelque chose de nouveau pour lui qu’il ne connaissait pas.

L’Hygiène
Nous n’avons évidemment pas l’eau courante dans le poste de Ben Ouadah, ni à proximité. Nous disposons juste d’une citerne d’eau sur une remorque. Le véhicule qui nous apporte les repas va la remplir lorsqu’elle est vide. Nous pouvons ainsi faire une toilette sommaire avec cette eau chaque matin. Deux soldats de mon équipe ont installé sur des piquets un fut en fer de 200 litres, sur lequel ils ont branché un tuyau et une pomme d’arrosoir. Il faut remplir plus ou moins le fut si l’on veut prendre une douche. Et puis, de toute façon ce n’est pas suffisant pour le nombre de soldats du poste.
Le véhicule militaire emmène les personnels libres du poste, environ une fois par semaine à Rivet où il y a des douches collectives, pour une somme modique, on peut se laver.

Il y avait une rotation de tenues de combats chez le fourrier, une tenue souillée contre une tenue propre. J’ai dû porter le pantalon et veste de combat à même la peau sans rien d’autre dessous et les pieds étaient nus dans les pataugas ou les baskets.
Le sol du poste était en terre battue. Nous étions assaillis la nuit par les puces qui sortaient de terre. Nous pulvérisions de la poudre DDT, mais les puces sautaient et restaient vivantes.
Un soldat ne craignait pas les puces, c’était B., celui là même qui avait failli être touché par la rafale de balles de PM.

Le faux collecteur de fonds
Le FLN envoyait, un (ou des) collecteur (s) de fonds dans les Douars. C’est d’ailleurs pour cela que l’on nous faisait patrouiller et effectuer des contrôles de personnes. En rentrant de patrouille avec plusieurs soldats, le sergent a amené un suspect au poste. Lors du contrôle, ce dernier était en possession de la somme de cent mille Francs sur lui. Cela représentait beaucoup à l’époque ! Le suspect attend dans le poste.
Le religieux du Douar arrive au poste avec deux habitants du Douar.
Le harki traduit : « Ils connaissent bien le suspect, c’est un ouvrier agricole célibataire. La somme de cent mille Francs trouvée sur lui, ce sont ses économies pour se marier ».

Le juge
Plusieurs habitants du Douar sont venus me trouver pour régler un litige. Comme d’habitude, j’emmène avec moi le harki K. pour traduire. Le litige est le suivant : ‘’le propriétaire d’une mechta ne veut plus laisser passer sur le terrain qui lui appartient, son voisin qui est obligé d’emprunter ce passage pour rentrer chez lui, dans une autre mechta’’. « Pourquoi ? » je demande. Le harki traduit : « Il ne le laisse plus passer, par ce qu’il regarde dans sa maison, lorsqu’il passe ».
Plusieurs habitants attendent pour savoir ce que je vais décider. Est-ce une pour voir ma réaction ? On ne sait jamais ! Il faut réfléchir vite et décider. Je fais traduire par le harki : « Le propriétaire du terrain doit laisser passer son voisin pour rentrer chez lui. Mais ce dernier lorsqu’il passe sur le terrain pour aller chez lui, doit s’engager à ne plus regarder dans la maison de l’autre ».
Ils sont d’accord tous les deux, l’affaire semble réglée. Je n’en n’ai plus entendu parler.

Le méchoui
Les habitants du Douar ont décidé d’inviter le Capitaine L., notre commandant de
Compagnie à un méchoui. Ils ont commencé tôt le matin la cuisson de deux moutons à la broche. Vers midi, les autorités militaires : Capitaine, Lieutenants, Sous-officiers, soldats du poste, habitants du Douar sont réunis.
Un mouton est destiné aux habitants et l’autre mouton aux militaires. Le Capitaine L. donne le signal de la ruée vers l’or heu non ! Vers le mouton. En très peu de temps, il ne reste déjà plus que les os du mouton pour les habitants, cela a été rapide !
Le Capitaine lui, n’est pas pressé, personne ne s’approche du mouton destiné aux militaires. Enfin il décide et les autres militaires s’approchent.
L’épicier du Douar et quelques habitants sont restés en retrait, personne ne s’occupe d’eux. Je vais les trouver et les invite à participer avec nous.

L’arête de poisson
Un après-midi, un père arrive au poste avec son enfant. Il explique que l’enfant a une arête de poisson dans la gorge, le sergent regarde la gorge du gosse, il ne voit pas l’arête située trop profond. Je me souviens de la mie de pain que l’on nous faisait manger étant gosses, lorsqu’ arrivait pareille mésaventure. On lui fait manger de la mie de pain et l’arête est partie. Merci ! Merci ! Oui, oui, ce n’est quand même pas un exploit ! Tout le monde ou presque, connaît ce remède.

Les embuscades
Je recevais un ordre écrit pour tendre une embuscade, à tel endroit, de telle heure à telle heure. Parfois c’était un ordre verbal. Du moins, était-ce ainsi à ma Compagnie. De toute façon, quel que soit l’ordre, écrit ou verbal, il ne me restait plus qu’à l’exécuter.
Sauf que, avec un ordre verbal, si les choses venaient à tourner mal pendant l’exécution, je n’étais pas couvert comme avec un ordre écrit.
Je me souviens d’une embuscade où nous étions dispersés et immobiles depuis vingt bonnes minutes. Il faut avoir vécu cette expérience pour savoir que tout est suspect la nuit.
On voit les objets déformés, des choses qui en réalité n’existent pas, des ombres, quelque chose semble bouger, mais il n’y a rien. Peut-on vraiment s’y habituer ?
Cette fois, un chacal très près de moi s’est mis à japper à plusieurs reprises. Je me demande
si ce n’est pas un humain imitateur.
Une autre fois, nous étions en embuscade de nuit, le long d’un chemin bordé d’arbres près de la ferme Floriana.
Après environ un quart d’heure d’attente, dispersés et embusqués sans aucun bruit comme d’habitude. Il faut avoir vécu cette attente pour comprendre ce que l’on peut ressentir.
J’ai aperçu à plusieurs dizaines de mètres au bout d’un chemin perpendiculaire au notre, quelque chose qui bouge, semble traverser le chemin plusieurs fois. Je me suis déplacé silencieusement vers le soldat le plus proche de moi, pour lui demander s’il voit la même chose que moi. Il me dit : « Oui ». Je rassemble les soldats et j’explique : « Je vais voir ce que c’est. Je voudrais qu’au moins deux d’entre vous me couvrent à quelques mètres en arrière.
Deux soldats viennent me dire : « Chef, nous sommes libérés dans une semaine, on ne voudrait pas qu’il nous arrive quelque chose ». J’ai levé l’embuscade après un moment, sans savoir si réellement il y avait eu quelqu’un au bout du chemin. Et puis, qui sait, c’était peut-être une vache comme cela s’est déjà produit dans le secteur à côté du notre il y a quelques semaines, ils ont abattu une vache par méprise.
Une autre fois, je reçois l’ordre verbal d’aller en embuscade à une certaine heure près du Douar Sidi Salem. Après avoir reçu cet ordre, une personne du PC m’a averti discrètement qu’il y en aurait aussi une autre embuscade dans ce Douar tenue par des militaires de l’armée de l’air.
A l’heure prévue de départ pour l’embuscade, je suis effectivement sorti, je me suis arrêté avant le Douar, mission accompli sans aller plus loin. Je suis revenu au poste au bout du temps prescrit, mais au lieu d’entrer dans le Douar Sidi Salem, je me suis arrêté avant, l’ordre était exécuté, sauf que je ne me suis pas approché trop près du Douar.
Le lendemain matin, je me suis renseigné : Les aviateurs étaient en embuscade dans le Douar. Si j’y étais entré, nous nous serions probablement tirés dessus.
D’ailleurs, cela est déjà arrivé à des éléments de la 2ème Compagnie, ils se sont tirés dessus pendant un bon moment avant de s’apercevoir de leur méprise.
Attention aux ordres et à la coordination.

Un accident
Un soldat a renversé sur lui le réchaud à alcool sur lequel il faisait chauffer le café. Ses vêtements ont pris feu. Aussitôt, quelqu’un s’est précipité avec une couverture pour éteindre les flammes. Mais le malheureux est déjà brûlé aux membres. Il souffre. Je téléphone à la compagnie, un véhicule transporte le malheureux brûlé à l’hôpital. Les jours et semaines suivantes, j’ai pris de ses nouvelles, il est resté longtemps à l’hôpital et n’est pas revenu au poste.

Le Jeune chacal
Un habitant d’un Douar a fait cadeau d’un jeune chacal à un soldat du poste. Le chacal est bien traité, caressé, nourri comme un chien, mais il reste sauvage. Il se cache la plupart du temps dans le mur en pierre autour du poste.
Il y a aussi un chien genre chien loup qui appartient à un soldat. Les deux gamelles du chien et du chacal sont bien séparées et assez distantes l’une de l’autre.
Le chien n’aime pas le chacal. Lorsque ce dernier s’approche, il grogne. Un jour le chacal a manger dans la gamelle du chien qui lui a brisé les reins d’un coup de gueule. Le chacal est tombé raide mort.
Parlant de chacal, souvent on voit leurs yeux autour du poste la nuit, ils sont probablement attirés par l’odeur des restes de nourritures.

Pendant une opération importante de contrôle
Avec une partie de mon personnel du poste Ouadah, nous sommes en renfort avec des effectifs de la Compagnie pour un contrôle de jour dans un Douar. Les mechtas du Douar se touchent presque toutes, c’est parfois un vrai labyrinthe, on s’y perd. Les habitants présents sont des femmes, des enfants ou des vieillards. On peut supposer que les hommes sont partis travailler ?
J’entre dans une pièce, je vois une jeune femme qui amuse son bébé. Elle semble indifférente au tumulte, au bruit. Je me retire discrètement, je ne crois pas qu’elle m’ait vu. Un peu plus loin, dans une autre pièce, je vois un des participants au contrôle, il est en train de fouiller une table de nuit, il a une liasse de billets de banque à la main.
Je le regarde, il repose les billets dans le tiroir, nous sortons de la pièce.
Quelques trente minutes plus tard, c’est la fin du contrôle. Bilan : rien à signaler.
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Le 6 Novembre 1958, je suis relevé du poste du Douar Ouadah par l’Adjudant
L. Il me dit qu’il est affecté à ce poste poste par mesure disciplinaire, il était en désaccord avec le Commandant B. et le Lieutenant M.
Je suis de retour au PC de la Compagnie à la ferme Bernabé où je participe aux permanences, patrouilles etc…
Quelques jours plus tard, il y a une tuerie : Le soldat Doué qui était le chauffeur du véhicule 4x4 qui nous apportait les repas au Douar Ouadah vient d’être tué dans son véhicule, avec l’un des harkis Ch. qui était auparavant avec moi dans le poste, ainsi que d’autres harkis.
Le lendemain nous apprenons ce qui s’est passé : alors que le chauffeur Doué transportait les harkis (Sauf K. qui était en patrouille), chez le trésorier pour percevoir leur paye mensuelle, l’un des harkis a saisi le PM MAT 49 du chef de bord, a tiré et tué tout le monde. Ensuite, il s’est sauvé à pieds. Il a rencontré un contrôle routier et a encore blessé deux militaires, avant d’être arrêté. Il s’agit de l’un des harkis qui garde habituellement le domicile du Capitaine L.
Ce harki a-t-il reçu des ordres du FLN ? Mystère ! Un journal de métropole écrira à son sujet : « Un harki pris de folie a tué etc… ».
*
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Le 15 Décembre 1958, je suis désigné comme responsable d’un chantier de construction
de maisons en parpaings de ciment. Je n’ai aucune formation pour cela. J’ai sous mes ordres, deux maçons du contingent plus les habitants du Douar Ben Ouadah.
Je me rends au Douar que je ne n’ai pas revu depuis le 6 Novembre, presque toutes les mechtas ont été rasées par un bulldozer.
Je ne sais pas où ont bien pu être relogés les gens qui habitaient là en attendant qu’on leur construise des maisons. Chez des parents ? Chez des amis ? Il reste quelques mechtas aux extrémités du Douar qui n’ont pas été démolies.
On apporte du ciment, du sable, on doit fabriquer les parpaings nous-mêmes. La maison de l’épicier doit être construite en premier à son ancien emplacement. Je n’ai pas d’autres directives, je n’ai aucun plan.
L’un des deux maçons a déjà travaillé un peu avant son service militaire, l’autre maçon sort de l’école, il n’a aucune pratique.
Les habitants du Douar qui sont censés m’aider, n’y connaissent rien bien sûr. Voilà comment on démarre les constructions avec peu de moyens matériels et humains. Ah, j’oublie : Nous disposons d’une bétonnière. La construction de la maison de l’épicier peut commencer.

Quelques jours après, le Commandant B. vient voir l’avancement des travaux, il n’est pas satisfait et me dit que : « Les travaux n’avancent pas assez vite »
Le Lieutenant M.
Le Lieutenant M. vient voir, il critique le chantier. Il m’explique que lui est responsable aussi d’un autre chantier identique au mien et qu’il a déjà réussi à faire construire une maison.
C’est ce même Lieutenant M. qui fait livrer le ciment et le sable. Je me renseigne et j’apprends que sur le chantier dont le Lieutenant M. est responsable, il y a plusieurs maçons de métier, du matériel et personnels bien plus que sur le chantier dont je suis responsable.


Abandon de la maison de l’épicier
La maison de l’épicier est à peine achevée. Le sol n’est pas cimenté, les murs ne sont pas crépis. Lorsqu’il pleut, les murs à l’intérieur sont mouillés, l’eau passe à travers les parpaings. Je reçois l’ordre d’arrêter cette construction et de construire un poste militaire et un mirador à l’autre extrémité du Douar.
Pendant cette nouvelle construction, le Lieutenant M. (C’est toujours lui qui fait livrer le ciment et le sable) vient voir les travaux. Il me dit : « Vous faites un mortier trop riche, vous consommez trop de ciment, il faut en mettre beaucoup moins mélangé au sable ».
J’appelle le maçon Coba, le Lieutenant lui confirme le nouveau dosage de ciment et de sable. Le Lieutenant parti, Coba me dit « Si on fait le dosage que veut le Lieutenant, tout va s’écrouler ».
Nous tombons d’accord pour faire une expérience de ce dosage en fabriquant seulement quelques parpaings pour essai. Plusieurs jours après, le maçon Coba fait une démonstration, il donne un simple coup de poing dans les parpaings et tout tombe en poussière. « Vous voyez chef ! » me dit-il.
En conséquence, nous continuons de fabriquer les parpaings avec le dosage comme auparavant.
- « Pourquoi le Lieutenant M. agit-il ainsi ?».
Quelques jours après, le Capitaine L. (Il n’est plus mon commandant de compagnie, il a été remplacé) vient me voir. Il me demande plusieurs sacs de ciment pour son usage personnel. Je lui dis : « Mon Capitaine, je n’ai pas le droit ». Le Capitaine L. : « Vous pouvez me donner du ciment, je suis votre ancien Commandant de Compagnie ».
- « Je ne peux pas mon Capitaine ». Il part.

Quelques semaines plus tard, le poste militaire est presque construit, y compris le mirador. Le maçon me dit qu’il faut attendre au moins 21 jours avant de commencer à décoffrer la dalle du mirador. Les murs du poste ne sont pas encore crépis et le sol est en terre battu.
J’ai construit une fosse septique, hélas, j’ai mis des planches trop minces pour le coffrage. Elles ont tenu, mais elles sont pliées par le milieu, cependant la fosse peut être utilisée.

Un dimanche matin, je suis fatigué. J’ai donné des consignes aux habitants du Douar pour effectuer des travaux en mon absence : Un début de route d’accès empierré dans le futur village.
Le Commandant B. passe sur le chantier ce dimanche matin avec sa jeep et son chauffeur. Il me fait appeler au téléphone pour me dire que je devais être présent sur le chantier, même le dimanche.
Quelques jours après il vient en visite sur le chantier, fait arrêter la jeep sur le chemin en bordure du chantier. Je viens de faire mettre les personnels du chantier de constructions à l’abri car il y a une forte pluie d’orage. Depuis l’intérieur de sa jeep, le Commandant me fait signe de venir vers lui, me laissant de longues minutes sous la pluie battante, s’enquiert pourquoi j’ai fait cesser le travail.
Il l’a bien vu puisqu’il s’est mis à pleuvoir très fort à son arrivée.
Il me retient encore, mes vêtements son détrempés, percés, je grelotte.
Il donne l’ordre à son chauffeur de démarrer en me regardant méprisant.
Cinquante quatre ans après cette humiliation, je n’ai rien oublié.
Pourquoi le Commandant B. agit-il ainsi ?
Je vais faire sécher mes vêtements chez un habitant du Douar.
Les militaires et les habitants du Douar ont assisté à cette scène depuis leur abri.

Un blessé
Un soir, alors que je viens de rentrer à la Compagnie, après avoir quitté le chantier de Ben Ouadah, j’entends un coup de feu.
Un sous-officier vient me dire : «  l’un de tes hommes vient de se blesser avec son arme dans sa chambre ».
Un soldat en manœuvrant son arme s’est tiré une balle dans la jambe, il est emmené à l’hôpital. Je suis convoqué au bureau du Capitaine qui me questionne : - « Avez-vous passé l’inspection des armes en rentrant du chantier ».
- « Oui mon Capitaine ».
Le Capitaine : « Alors, pourquoi l’un de vos hommes s’est-il blessé ? ».
Je lui explique : « Les hommes détiennent leur arme et les munitions avec eux dans leur chambre. Il n’y a pas de râtelier d’arme avec la chaîne et le cadenas comme c’est prévu par le règlement. Le soldat a manœuvré son arme après l’inspection ».
Mon explication n’a servi à rien, j’écope de huit jours d’arrêts pour non inspection des armes. Cette accusation est fausse, mais que faire ?

Construction de deux écoles et logements d’instituteurs
Pendant la construction du poste militaire, une entreprise édifie des bâtiments métalliques préfabriqués, il s’agit de deux écoles et un logement d’instituteurs.
Je suis entré dans une école la construction terminée. Il y fait une chaleur insoutenable, sans commentaires..
Les mechtas en terre sont bien plus adaptées au climat que les maisons en parpaings de ciment que l’on nous fait construire. Dans une mechta, il fait relativement frais l’été et relativement chaud l’hiver par rapport à l’extérieur. Les écoles et les maisons que l’on destinait aux habitants du Douar n’étaient pas faites pour ce climat. A moins d’être mieux isolées, ce qui n’était pas le cas.
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La 2ème Compagnie du 57ème BT a changé de secteur le 25 Avril 1959 pour s’installer près de Maison Carré à Oued Smare. Je suis retourné par mes propres moyens au Douar Ben Ouadah le 16 Mai 1959, soit trois semaines après avoir quitté le chantier de construction. Le chantier était abandonné et les écoles en préfabriqués toujours fermées ainsi que les logements d’instituteurs.
Je suppose que les habitants du Douar n’ont pas trop attendu pour reconstruire leurs maisons traditionnelles en terre.
J’éprouvais un sentiment de quelque chose d’inachevé, d’abandon malgré moi.
Les gens avaient commencé à me faire confiance.
Mais bien sûr, je n‘étais qu’un petit gradé, dépassé et impuissant devant l’évolution de tous ces évènements.
- « Que les habitants du Douar Ben Ouadah m’excusent ».
J’ai rejoint la France par avion le 18 Mai 1959, pour fin de séjour. Je n’ai jamais pu savoir ce qu’il était advenu des maisons et des habitants du Douar Ouadah.

Souvenirs Mémoires de Michel Baudoin (âge 81 ans)

1 commentaire:

  1. nous cherchons ancien harki s'appellais ouadah sergent centre d'el khadra rivet

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